Coupes budgétaires : un coup de massue pour les bibliothèques universitaires françaises

Le budget Bayrou avec une baisse historique de 30 milliards des dépenses publiques s’est traduit par un budget du Supérieur étouffant un peu plus encore chaque établissement. Les restrictions budgétaires frappent ainsi de plein fouet les bibliothèques universitaires, affectant directement leurs collections, les services aux usagers et leur mission de soutien à la recherche. Face à ces restrictions financières, certaines BU ont pris des décisions drastiques qui modifient en profondeur leur fonctionnement et leur rôle au sein des établissements d’enseignement supérieur.

À Angers, le budget de fonctionnement de la BU a été réduit de près de moitié, entraînant l’arrêt total des achats de livres papier et la suppression de nombreux abonnements. La BIS de la Sorbonne a vu son budget amputé de plus de 40 %, la contraignant à suspendre son service de prêt entre bibliothèques. À Clermont-Ferrand, ce sont les acquisitions de livres qui sont amputées de 10 %. Ces coupes drastiques mettent en péril la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche en France.

Un retard historique aggravé par les coupes budgétaires

Le Rapport Miquel de 1989 avait déjà mis en lumière le retard des bibliothèques universitaires françaises par rapport à leurs homologues européennes (en particulier anglais et allemands), que ce soit en termes de superficie, de collections, d’horaires d’ouverture ou de moyens humains et financiers. Des efforts avaient été faits depuis pour combler cet écart, mais les récentes coupes budgétaires risquent d’annuler ces progrès et de creuser à nouveau l’écart avec les autres pays européens.

Horaires d’ouverture : 60 heures par semaine et 233 jours par an en France en 2019 contre 74 heures par semaine et 272 jours en moyenne en Europe.

Ratio Personnel (ETP)/étudiant·e : la France est nettement en dessous de la moyenne européenne avec 3,8 ETP/1000 étudiants contre 5,1 en Europe. Tandis que la filière Bib perd des postes en France, le nombre d’étudiant·es croit, accélérant ainsi la dégradation de la situation.

Dépenses documentaires : La France est également nettement en dessous de la moyenne européenne pour les dépenses documentaires par étudiant·es. 63 € en France contre 171 € en Europe.

Impact sur le personnel et les conditions de travail

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : Les réductions budgétaires ont conduit à des situations de précarité pour le personnel, certains employés n’ayant pas été rémunérés pendant un mois, ce qui a entraîné des mobilisations pour dénoncer ces conditions1.

Impact sur les collections documentaires

Les coupes budgétaires conduisent à une diminution significative des acquisitions de documents. Cela se traduit par :

  • Une réduction du nombre d’abonnements aux revues scientifiques, notamment à des bases de données coûteuses, mais essentielles à la recherche ;
  • Une priorisation des ressources numériques au détriment des collections imprimées, au risque d’une offre documentaire appauvrie pour certaines disciplines ;
  • Une limitation des acquisitions d’ouvrages de fonds, notamment dans les sciences humaines et sociales, qui s’appuient fortement sur des monographies ;
  • Des renégociations forcées des contrats avec les éditeurs, qui peuvent conduire à la perte de l’accès à certaines ressources.

Exemples :

  • Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : En raison d’une diminution de 13 millions d’euros de son budget, l’université a réduit de 80 % les dotations allouées aux bibliothèques pour l’achat de nouveaux livres2.
  • Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne (BIS) : Confrontée à une baisse de plus de 40 % de son budget annuel, la BIS a suspendu le prêt entre bibliothèques et réduit ses activités, notamment les acquisitions de monographies et les abonnements à des périodiques3.

Conséquences sur les services aux usagers4

Les bibliothèques universitaires doivent adapter leur offre de services face à la baisse des moyens, ce qui entraîne :

  • Une réduction des horaires d’ouverture, affectant particulièrement les étudiants qui travaillent en soirée ou le week-end ;
  • Une dégradation des conditions d’accueil avec la suppression de postes de personnel, rendant l’accompagnement et l’aide à la recherche plus difficile ;
  • Une diminution des actions de formation à la recherche documentaire, impactant la capacité des étudiants à naviguer dans l’information scientifique ;
  • Une baisse des services interbibliothèques (PEB), limitant l’accès à des documents non disponibles sur place.

Exemples :

Université de Lille : Les contraintes budgétaires ont conduit à la fermeture temporaire des cours, des bibliothèques et des services administratifs, illustrant les difficultés à maintenir les services essentiels5.

Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne : La diminution du budget a entraîné la suspension du prêt entre bibliothèques et la réduction des activités de conservation et d’acquisition, limitant ainsi l’accès des usagers à certaines ressources6.

Fragilisation du soutien à la recherche

Les bibliothèques universitaires jouent un rôle crucial dans l’accompagnement de la recherche. Les restrictions budgétaires ont un impact direct sur :

  • La capacité des BU à financer l’accès ouvert (« open access »), freinant ainsi la diffusion des travaux scientifiques.
  • La conservation et la valorisation des archives et des fonds patrimoniaux, qui souffrent d’un manque de ressources pour leur numérisation et leur préservation.
  • L’accompagnement des chercheurs dans la gestion des données de recherche et les nouveaux défis de la science ouverte.

Conséquences sur les conditions d’études des étudiant·es français·es

Avec des bibliothèques sous-dotées, les étudiants français risquent de voir leurs conditions de travail se dégrader :

  • Un accès réduit aux ressources académiques par rapport à leurs homologues étrangers.
  • Une baisse de la qualité de l’encadrement documentaire et de l’accompagnement à la méthodologie de la recherche.
  • Une diminution des lieux de travail disponibles, avec des bibliothèques moins ouvertes et parfois surchargées.

Impact de la situation géopolitique et des décisions américaines sur la recherche et les BU françaises

Les décisions prises par les grandes puissances, notamment les États-Unis sous la présidence de Donald Trump7, ont également eu un impact sur la recherche mondiale et, par extension, sur les bibliothèques universitaires françaises. Plusieurs aspects sont concernés :

  • Accès aux publications scientifiques : Le retrait des États-Unis de certains accords internationaux et leur politique protectionniste ont compliqué l’accès à certaines ressources académiques. De plus, la pression exercée sur les grandes plateformes de publication scientifique a conduit à des augmentations tarifaires, rendant encore plus difficile pour les BU françaises d’acquérir des abonnements.
  • Données et science ouverte : Sous l’administration Trump, certaines restrictions ont été imposées sur le partage des données scientifiques, notamment dans des domaines sensibles, comme le climat et la santé publique. Cette politique a limité l’accès des chercheurs français à des bases de données cruciales.
  • Restrictions sur les collaborations internationales : Le durcissement des règles sur les visas et les partenariats scientifiques a affecté la mobilité des chercheurs et la coopération entre institutions, réduisant les échanges académiques et l’accès aux informations de pointe.
  • Impact sur les plateformes numériques : Certaines décisions politiques ont conduit à des restrictions sur les outils et plateformes numériques utilisées en recherche (ex. restrictions sur certaines technologies chinoises comme Huawei, qui impactent aussi les infrastructures de communication des universités et bibliothèques européennes).

Exemple de PubMed et autres bases de données scientifiques : PubMed, la base de données biomédicale majeure financée par les États-Unis, reste en accès libre, mais d’autres bases de données scientifiques comme Web of Science ou Scopus, dont l’accès est payant, ont vu leurs coûts augmenter, ce qui pèse sur les budgets des BU françaises. De plus, des tensions commerciales et politiques entre les États-Unis et l’Europe ont rendu certaines négociations avec les éditeurs plus complexes, pouvant limiter l’accès aux publications scientifiques récentes.

Stratégies d’adaptation et perspectives

Face à ces défis, les bibliothèques universitaires cherchent des solutions :

  • Mutualisation des ressources entre BU pour réduire les coûts.
  • Recherche de financements alternatifs (appels à projets, partenariats avec des fondations ou des institutions privées).
  • Développement de pratiques innovantes, comme la mise en place de collections partagées ou l’usage de l’intelligence artificielle pour optimiser les acquisitions.
  • Diversification des sources documentaires pour réduire la dépendance aux grands éditeurs et privilégier les initiatives de science ouverte.

Toutefois, ces mesures ne suffisent pas à compenser l’impact des coupes budgétaires et des restrictions internationales, qui risquent d’affaiblir durablement le rôle des bibliothèques universitaires comme piliers de la formation et de la recherche académique.

En effet, même si la baisse des prêts en BU connaît une tendance lourde, il n’en reste pas moins que de nombreuses études démontrent que la réussite universitaire est corrélée à la capacité des étudiants à utiliser régulièrement les sources documentaires. Ceci est encore plus vrai pour les chercheurs qui pour faire avancer les connaissances ont besoin d’accéder au travail de leurs pairs.

Ces mesures aboutissent aussi à une rupture d’égalité avec des étudiants privés de livres ou d’accès aux BU, ceux les plus impactés étant les étudiants issus des classes populaires privés d’espaces de travail et de ressources documentaires qu’ils n’ont pas les moyens d’acquérir par leurs propres moyens. Elles renforcent donc le tri social voulu par Parcoursup.

Les BU ont besoin de davantage de moyens pour leurs étudiant·es, des recrutements de titulaires à heure des besoins, et d’un vaste plan de requalifications des emplois, reconnaissant enfin le fait qu’une part toujours plus importante d’agents assurent des missions supérieures à celles de leurs statuts. Rappelons qu’un plan partiel de requalification avait été acté par le Ministère en 2023 avant que le gouvernement y renonce en 2024 ! Nous resterons vigilants aussi que de ces coupes budgétaires sans précédents, nos collègues non-titulaires ne soient pas les victimes car la masse salariale est leur première variable d’ajustement.

  1.  FERRERO, Ivan et NILÈNE, Léna. Sorbonne. Après un mois sans paie, les salariés de la bibliothèque se mobilisent, in Révolution permanente. [En ligne]. Publié le 12 février 2025, consulté le 1ᵉʳ mars 2025. Disponible sur : https://www.revolutionpermanente.fr/Sorbonne-Apres-un-mois-sans-paie-les-salaries-de-la-bibliotheque-se-mobilisent ↩︎
  2. CALIMÉRO, Rémi. Universités : 1,5 milliard de coupes budgétaires, in Informations Ouvrières. [En ligne], Publié le 9 mars 2025, Consulté le 14 mars 2025, disponible sur https://infos-ouvrieres.fr/2025/03/09/universites-15-milliard-de-coupes-budgetaires/ ↩︎
  3. SIVAGAMI, Casimir. «La Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne réduit ses services après une baisse de 40 %», in Archimag. [En ligne]. Publié le 19 février 2025, consulté le 1ᵉʳ mars 2025. Disponible sur : https://www.archimag.com/bibliotheque-edition/2025/02/19/bibliotheque-interuniversitaire-sorbonne-reduit-services-baisse-40 ↩︎
  4. DESSAUX, Marine. ”« Beaucoup d’incertitudes et d’inquiétudes » : les BU face aux difficultés de budget des universités”, in Campusmatin. [En ligne] Publié le 30 janvier 2025, consulté le 1ᵉʳ mars 2025. Disponible sur : https://www.campusmatin.com/vie-campus/strategies/beaucoup-d-incertitudes-et-d-inquietudes-les-bu-face-aux-difficultes-de-budget-des-universites.html ↩︎
  5. FAUVEL, Virginie. «Les universités françaises alertent sur une crise budgétaire sans précédent», in Banque des Territoires. [En ligne]. Publié le 2 décembre 2024, consulté le 1ᵉʳ mars 2025. Disponible sur : https://www.banquedesterritoires.fr/les-universites-francaises-alertent-sur-une-crise-budgetaire-sans-precedent ↩︎
  6. Op. cit. Note n° 3 ↩︎
  7. CASSIDY, Caitlin. ”Trump administration accused of « blatant foreign interference »” in Australian universities over questionnaire on DEI and gender, in The Guardian. Publié et consulté le 14 mars 2025. Disponible sur : https://www.theguardian.com/australia-news/2025/mar/14/australian-university-sector-accuses-trump-administration-of-blatant-interference-in-research ↩︎

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Cet article est la rubrique 10 sur 11 du Convergences N° 306 – Avril 2025