Depuis vingt ans, les bibliothèques ont profondément changé. Les missions se sont diversifiées, les compétences se sont accrues, les attentes du public se sont transformées. Les personnels, eux, ont suivi : médiation culturelle, inclusion numérique, lutte contre l’illettrisme, accompagnement social, gestion de données, pilotage de projets, services et formations aux étudiants, maîtrise accrue des outils numériques, déploiement de politiques documentaires complexes… Cette montée en technicité est incontestable. Elle est même devenue un argument récurrent des institutions pour souligner la modernité des bibliothèques et leur rôle essentiel dans le service public.
Mais une réalité demeure têtue : la rémunération des agent·es n’a pas suivi. L’écart entre l’évolution des missions et la stagnation salariale crée une tension structurelle qui menace l’attractivité du secteur. Les revalorisations indiciaires récentes, bien que nécessaires, n’ont fait que compenser partiellement des années de décrochage. Les carrières restent lentes, les primes variables et inégalitaires, et l’accès aux grades supérieurs demeure trop souvent verrouillé par des quotas ou par des pratiques locales opaques.
Cette contradiction, injonction à l’innovation sans reconnaissance salariale, produit un malaise profond. On exige des agent·es une expertise croissante, mais on les paie comme si le métier était resté celui d’hier. Le résultat est visible : difficultés de recrutement, turn-over inédit, contractuel·les sous-payé·es, découragement des équipes. Le service public en pâtit directement.
Il est temps de considérer la rémunération non comme un coût, mais comme la condition de possibilité de bibliothèques ambitieuses. Cela implique : une revalorisation significative des grilles, un renforcement du régime indemnitaire pour l’aligner sur les autres filières culturelles et scientifiques, l’ouverture réelle des déroulements de carrière, et une lutte contre les disparités locales.
Les bibliothèques ne pourront pas continuer à porter des missions sociales, éducatives, académiques et démocratiques toujours plus lourdes sans un investissement clair dans celles et ceux qui les réalisent. Le discours sur « la modernité des bibliothèques » n’a de sens que s’il s’accompagne d’une reconnaissance concrète : salariale, statutaire, professionnelle. Faute de quoi, l’écart deviendra un gouffre.

