Le précédent numéro de Convergences alertait sur le cran supplémentaire que le gouvernement voulait faire passer à la politique d’austérité, mettant en évidence le caractère méthodique de la circulaire de budgétisation émise début avril par la Direction du Budget. Le Premier ministre a émis le 24 avril une autre circulaire1 portant, à en croire son objet, sur les « orientations en matière de gestion de la masse salariale et des mesures catégorielles. »
Celle-ci est intéressante en même temps qu’elle confirme l’incurie des politiques d’austérité et le fait qu’elles ne peuvent qu’engendrer une spirale aux conséquences toujours plus négatives. En effet, elle montre comment le gouvernement envisage sa politique de rémunération pour la fonction publique. Pour résumer, il s’agit d’organiser la méthode pour hiérarchiser et ordonner les mesures catégorielles2 dans le but de renforcer la « maîtrise des dépenses de masse salariale ».

L’incapacité du « catégoriel » en l’absence de mesures générales structurantes !
Le gel de la valeur point d’indice est devenu une sorte de norme pour les tenants de l’austérité, déportant de facto la politique de rémunération strictement sur d’autres constituants de la paie des agents publics. Et ce n’est pas sans apporter son lot de contradictions, sans créer des problèmes importants dans la gestion des personnels et de leurs carrières, notamment des mobilités.
La première contradiction est évidente : elle porte sur les problématiques d’attractivité d’une part, mais aussi de capacité à conduire des politiques publiques, quelles qu’elles soient d’autre part. Il est impossible pour un·e ministre ou un employeur public de ne pas avoir une politique de rémunération permettant d’afficher a minima un souci de reconnaissance des personnels, en tout cas de celles et ceux les premier·es en charge de la mise en œuvre du service public.
Une autre contradiction naît très rapidement, du point de vue global, de la première : se défausser de la nécessité de répondre par des mesures générales aux situations de décrochage des rémunérations des fonctionnaires par rapport à celles des salarié·es des autres secteurs d’activité produit des effets de différenciation injustifiable. Comment expliquer par exemple qu’il n’y ait plus de corps de la Police nationale appartenant à la catégorie C quand cette dernière reste majoritaire dans les filières administratives et techniques, alors même que les métiers et fonctions exercées par les collègues ne relèvent plus de l’exécution depuis belle lurette ? Et quelle justification des inégalités structurelles de carrière ainsi créées dans la fonction publique ?
La troisième contradiction aboutit à ce que la discordance entre la réalité de l’évolution des coûts de la vie et des rémunérations cumulées avec celles résultant des comparaisons avec des emplois et métiers comparables créent des nécessités de « rattrapage » pour rendre palpable l’effet d’une mesure catégorielle, tout en créant des inégalités inacceptables les personnels appartenant à des corps de fonctionnaires non visés par celle-ci.
La raisonnable nécessité des mesures générales
À titre d’exemple, comment justifier que la plupart des corps (et surtout les plus nombreux) qui s’étaient vus infliger un troisième grade à accès fonctionnel et un échelon spécial contingenté pour le sommital doté d’une hors échelle lettre ont été entièrement linéarisés, alors que le « modèle » qu’a représenté le CIGEM des attachés d’administration de l’État est lui resté enfermé dans cette « innovation » managériale imbécile d’il y 15 ans ? S’il fallait illustrer dans le même temps l’absurdité de chercher des outils managériaux de contingentement et de mise en concurrence des personnels et de les utiliser comme palliatif à l’insuffisance de mesures générales : c’est réussi !
De la même manière, le SNASUB-FSU n’a eu de cesse de démontrer l’absurdité qu’il y avait à écraser et déstructurer les grilles de carrière des catégories C et B du fait d’un relèvement du seul minimum FP pour « cacher la misère » que révèle le déclenchement de l’indemnité différentielle lorsque les premiers indices passent sous la table.
Si la Cour de Comptes avait considéré que les mesures générales du protocole PPCR, il y a dix ans, n’étaient pas finançables, car évaluées à 4,5 milliards d’euros, que devrait-elle dire de mesures catégorielles aux effets plus limités et qui ont représenté 7,4 milliards3 entre 2020 à 2024 ? Dans le même temps, les mesures de revalorisation de la valeur du point d’indice qui se sont imposées au gouvernement — contre son gré, il est vrai — du fait de la crise inflationniste représentent une augmentation budgétaire de 4,1 milliards d’euros, selon les données fournies par la Direction générale de l’Administration et de la Fonction publique.
Un esprit raisonnable choisirait évidemment de dégager d’abord les budgets nécessaires aux mesures générales visant à la fois à remonter toutes les rémunérations pour les remettre à flot et à redonner de l’amplitude aux carrières des trois catégories types. Ensuite, le « catégoriel » viendrait procéder aux ajustements nécessaires pour tenir compte des spécificités des métiers et missions. C’est d’ailleurs ce qui motive la construction revendicative du SNASUB-FSU en matière de carrière et de rémunération.
Rationaliser la répartition des fruits de la disette budgétaire ?
Cet intertitre résume la question (absurde) qui vient à l’esprit à la lecture de la circulaire commise par le Premier ministre. En effet, tout l’objet de celle-ci est de vouloir mettre en œuvre une méthode pour organiser de manière pluriannuelle l’application de mesures catégorielles et de hiérarchiser celle-ci en fonction d’une approche combinée « RH » et budgétaire… Cette lubie est tirée du constat impossible pour un théoricien de la baisse de la dépense publique en dehors de toute autre considération que celle de la dette : « En 2024, les dépenses de masse salariale ont atteint 107 Md€ (hors contributions au CAS Pensions), soit une hausse de 6,7 % par rapport à 2023, alors que l’inflation en 2024 (2 %) a nettement reflué par rapport à 2023. » Chacun·e appréciera le cynisme et l’absence de raisonnement appliqué au réel dans sa complexité…
Paradoxe, ceci devrait permettre de dégager un espace de discussion et de confrontation pour aborder la question des carrières des corps à statuts communs dont les carrières sont sous la responsabilité du ministère en charge de la Fonction publique, notamment les filières administratives et techniques.
Pour le SNASUB-FSU, tout l’enjeu est de réparer les décrochages des corps à statut commun sans perdre de vue que ceci ne passe pas la revalorisation des grilles types de rémunération des trois catégories, articulée à des mesures générales visant à parvenir dans les faits à l’égalité professionnelle. Outre le fait que ceci permet de revendiquer de manière juste et raisonnable la revalorisation des trois filières de son champ de syndicalisation, il s’agit de redonner tout le sens en matière de perspective de carrière et de comparabilité de celles-ci au sein de la fonction publique. Et, surtout, ceci permet de n’oublier personne dans la revalorisation !

En tout cas, cela passe par l’idée que s’il est nécessaire de penser la revalorisation et les mesures générales dans une certaine pluriannualité, ceci ne peut se résumer à une programmation de mesures catégorielles, comme le laisse entendre la circulaire du Premier ministre.
Dans le contexte difficile où se conjugue une vraie difficulté à recruter dans la fonction publique, tant son image est dégradée par les politiques menées, et un vieillissement démographique de nombreux corps de fonctionnaires, se battre pour la légitime revalorisation de toutes et tous, pour des mesures générales à la hauteur, relève de la défense du service public, de l’intérêt général. C’est une revendication de justice sociale qui dépasse la légitime reconnaissance du travail et de l’engagement des personnels qui, au quotidien, font vivre le service public envers et contre toutes les politiques d’austérité.
- https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/45601 ↩︎
- Les mesures catégorielles sont celles qui concernent certains corps ou grades ; elles peuvent contenir des transformations d’emplois, des rééchelonnements indiciaires propres à tel ou tel corps, des mesures de revalorisation indemnitaire, etc. Elles sont en général portées par un ministère. ↩︎
- dont 4,6 milliards pour financer les mesures prévues du Grenelle de l’éducation et mesures « pacte ». ↩︎
Sommaire du Convergences N° 307 — Mai 2025
- Édito du numéro 307 – Mai 2025
- En bref
- La politique de rémunération de l’État sous le joug de l’austérité
- Les ministères chargés de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports souhaitent accentuer leur politique RH de proximité
- L’intelligence artificielle et ses enjeux dans les champs de notre action syndicale
- Accord-cadre ministériel relatif à la mise en œuvre du télétravail à l’éducation nationale… Ça bloque pour les personnels exerçant en EPLE ! Inacceptable !
- Le SNASUB-FSU auditionné par l’IGESR le 14 avril 2025 : quel avenir pour les secrétaires généraux d’EPLE ?
- Pour la défense des opérateurs de l’éducation nationale : CANOPE, CEREQ, CNED, FEI, ONISEP
- Le projet ministériel d’un nouveau service départemental en santé scolaire
- Mobilisation devant le rectorat de Toulouse le 5 mai
- Filière bibliothèques : troisième révolution, derniers sacrifiés ?
- Cibler les retraités plutôt que les riches