Quand l’économe du lycée de Tournon dirige la Fédération unitaire de l’enseignement et son Comité des professeurs !

Les métiers de l’administration de l’éducation nationale ont bien évolué depuis un siècle. Pour autant, la structuration générale des établissements scolaires peut demeurer plus ou moins semblable avec l’actuelle dichotomie secrétariat/intendance. Vieille appellation que celle de sous-économe renvoyant à l’administration financière des lycées confiée aux fonctionnaires de l’Economat qu’on rattacherait à nos actuelles intendances. Le texte qui suit évoque l’engagement d’un collègue qui participe à la gestion administrative et financière du lycée. Dans le cas qui nous est présenté ici, Fernand Mussigmann est membre de fédération qui regroupe les personnels de l’éducation nationale : Fédération unitaire de l’enseignement. Celle-ci est membre de la confédération CGTU, organisation issue d’une scission/exclusion de 1921 de la CGT sur des bases révolutionnaires. Il faut préciser qu’à cette époque de l’entre-deux-guerres, l’engagement syndical dans l’éducation nationale est essentiellement dans ces deux confédérations ouvrières. Il est remarquable de souligner que les personnels de l’enseignement ne dédaignaient pas leur affiliation à la CGT qui sera réunifiée en 1936…

En 1930, après le congrès de Marseille, c’est au syndicat de l’Ardèche qu’échoit le soin de diriger la Fédération unitaire de l’enseignement. Autour de Gilbert Serret se met en place un bureau composé uniquement d’instituteurs, à l’exception du « secrétaire corporatif pour les 2e et 3e degrés », Fernand Mussigmann.
Fernand Mussigmann n’est pourtant pas professeur : c’est le sous-économe du prestigieux lycée de Tournon, en Ardèche.
Il est né le 23 juin 1896 à Port-Saïd (Egypte), son père, ajusteur, s’étant embauché sur le chantier du canal de Suez. Il est recensé à Tournon en 1911 avec sa mère et ses trois frères et sœurs1. Sa sœur Germaine fera toute sa carrière au lycée de jeunes filles, comme répétitrice puis comme professeure.
Incorporé au 58e régiment d’infanterie en 1916, il est au front en 1917. Il y est blessé le 23 octobre 1917 au Chemin des dames, ce qui lui vaut d’être classé dans le service auxiliaire, puis démobilisé en 1919.
En 1926, il est commis d’économat au lycée de garçons d’Avignon et est élu au Comité des professeurs de la FUE.
Dès son arrivée à Avignon, il est l’objet d’une surveillance policière à la demande de la Direction générale de la sûreté du ministère de l’Intérieur, comme en témoigne un rapport du commissaire spécial. Après avoir signalé que Fernand Mussigmann a été intégré au Comité de rayon du Parti communiste, il ajoute « Il se propose de créer la fraction des communistes de l’enseignement au sein de la section départementale du syndicat national des instituteurs » et conclut « M. Mussigmann fera l’objet à partir de ce jour de toute la surveillance qu’il mérite »2.
En 1928, il est déplacé, sans doute par mesure disciplinaire, dans l’Oise où il devient sous-économe au lycée de Beauvais. Revenu en Ardèche en 1930, il y rencontre Gilbert Serret3 et assume alors, comme on l’a vu, des responsabilités nationales dans la FUE.
En janvier 1932, il appelle avec Simone Fraisse à un meeting contre la répression syndicale et pour la liberté d’opinion organisé par le Syndicat unitaire de l’enseignement et La Libre Pensée à Tournon4. En 1934, il s’exprime dans la presse locale au nom du Comité de vigilance antifasciste de Tain Tournon5.
En 1936, il est toujours à Tournon, où il est recensé avec son épouse Noëlie, épousée en 1924, son fils Jean et leur bonne6. Le 1er mai 1938, il préside encore le meeting de l’Union locale des syndicats confédérés7. De santé fragile, très affecté par la mort de son fils Georges en 1932, il cesse ensuite toute activité militante, ce qui ne lui évite pas d’être déplacé par le régime de Pétain au Puy, où il retrouve le couple Serret.
Après-guerre, il retourne au lycée d’Avignon où il exerce comme économe au lycée dès 1947. Il y demeure jusqu’en 1958, date à laquelle il prend sa retraite qu’il passera à Tournon.

  1. AD Ardèche. 6 M 111. 1911. ↩︎
  2. AN. « Fonds de Moscou ». 19 940 462/582. Dossier Mussigmann. ↩︎
  3. France et Gilbert Serret : un syndicalisme pour changer le monde. Syllepse, 2024. (Mouvements et arguments). Disponible à la FSU Ardèche. ↩︎
  4. ADA PER 36-56 01 ↩︎
  5. ADA PER 36-58 03 ↩︎
  6. ADA. 6 M 256. 1936 ↩︎
  7. ADA 1618. 04-05 ↩︎
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Cet article est la rubrique 8 sur 8 du Convergences N° 300 — Octobre 2024